Carole Schneemann jeu de miroirs, de cordes, de bâches
Les performances de Carole Schneemann s’inscrivent comme une provocation féministe à l’idée patriarcale selon laquelle les femmes peuvent être lues et interprétées. Il s’agissait pour elle de reprendre possession de son corps, de changer le statut, le regard porté sur les femmes en différenciant corps masculins et corps féminins. Il faut rappeler que les années soixante ont vu le début d’une véritable mutation dans les pratiques de l’art visuel en Europe et aux Etats-Unis. Cette mutation coïncide avec les changements de la conscience populaire, une révolte contre les fondements sociaux et politiques. La peinture et la sculpture qui jusqu’à maintenant régnaient en maîtres passe à l’arrière plan suspectes Carole Schneemann utilise son corps de manière provocatrice, à travers plusieurs supports : performance, danse, films, peinture, dessin, photo, vidéo… Née en 1939 à Fox Chase, une petite ville du Kentucky, elle s’est installée à New York où elle réside toujours. Sa première exposition eut lieu en 1972 au Musée de la faculté de Berkeley, en Californie en pleine vague hippie…et dès 1979, elle expose en Europe, à Amsterdam. A New York, elle s’intéresse plus particulièrement à la NY School of painting et à ses recherches visant à repousser les limites du tableau et de la peinture traditionnelle. Ses premières œuvres utilisent de nombreux matériaux et elle s’inspire des assemblages, les fameuses boîtes de Joseph Cornell. Entre 1962 et 1964, elle travaille exclusivement sur le corps féminin, plus particulièrement sur le regard masculin. Elle participera également à des performances d’autres plasticiens et non des moindres comme Claes Oldenburg, Bob Rauschenberg et Robert Morris. Toujours en cette période, la conscience féministe a également encouragé les artistes femmes à reconquérir leur propre image et à découvrir de nouvelles stratégies de représentation et de pratiques artistiques susceptibles de sauver la femme et son image de son avilissante position, issue du système matriarcal. Avec Eye Body (1963), elle peint son corps et se couvre de serpents, son atelier devient une scène de jeu de miroirs, de cordes, de bâches, de colle… Son corps n’est qu’un matériau parmi tant d’autres. Dans Up to and Including her Limits en 1976, elle propose une nouvelle approche de la peinture : accrochée à un harnais, le corps suspendu, en gravitation, elle expérimente l’espace pictural aux limites de son corps ainsi contraint. « Quand le corps est dans l’oeil, les sensations visuelles s’emparent de la totalité de l’organisme ». Exposant son sang de menstruation sur des étoffes, dans Blood Work Diary, 1972. Mais son œuvre dérange, et surtout les publics féministes : dans son film, une partouze filmée, Meat Joy (Joie de la Chair, 1964), les acteurs nus jouent avec des aliments pour animaux et l’artiste joue une nymphomane, qu’elle montre dans un festival de cinéma de femmes à Chicago. Elle scandalise le public par ce qui est perçu comme un film porno classique. Une hostilité féminine du même type accueille son autre film Fuses (Fusibles) en 1967, dans lequel elle filme le compositeur James Tenney en train de faire l’amour. Et sa fameuse performance Interior Scroll avait provoqué de nombreuses indignations féministes ! Elle influencera de nombreuses avant-gardistes féministes comme Kathy Acker, Lyndia Lunch, Diamanda Galas, mais aussi des théoriciennes féministes comme Judith Butler, voire des artistes « mâles » comme Mathew Barney. Ses livres sont aussi importants tant dans le domaine de l’art que du féminisme ! Avec More than Meat Joy paru en 1979, elle théorise la performance. Les photographies et films sont le résultat de ces assemblages où elle est souvent intégrée dans le matériau. Sophie Delpreux Maitresse de conférences en histoire de l’art Université de Lyon II. a mis en évidence le travail Carole Schneemann au cours du colloque de INHA « Retour sur l’art de l’assemblage » en mars 2008