En hommage à Aragon qui fait l’objet d’une exposition à la Maison d’Elsa Triolet et Aragon à St Arnolt en Yvelines jusqu’au 30 Novembre 2012 il est présenté un extrait du livre les Collages un article sur John Heartfield.
exposition Elsa Triolet 2012
Il y a dans les rues, sur des panneaux qui ressemblent à ceux des affiches électorales, des milliers de tableaux dans Paris en 1935 : petits chats, pots de fleurs, paysages, devant qui personne ne s’arrête, puis soudain un rassemblement : femmes nues, qui ne me rappellent pas pour rien celles des cagnas dans les tranchées… et à côté, sur un pliant, le peintre. Certes, ce n’est guère ici que se poursuit l’histoire de la peinture; ce n’est guère ici, entre ces toiles destinées à de confondantes et problématiques garçonnières, à des salles à manger et des arrière-boutiques en mal d’art, que se joue cette partie de l’esprit humain dont les partenaires se sont nommés Vinci, Poussin, Ingres, Seurat, Cézanne. Pourtant, à tout prendre, dans les problèmes que se posent ces tristes quémandeurs du trottoir et ceux que révoltent le grand nombre de peintres qui ont droit à la critique, à la cimaise et à la gloire, y a-t-il plus qu’une différence de degré ? Elle ne les martyrise guère, les peintres d’aujourd’hui, cette angoisse commune à tous les artistes, que Mallarmé nommait : Ce dédain, étrange comme une défense, ce refus d’aborder le fond du débat, a atteint au début du XXe siècle, par une espèce de logique qui va s’accusant avec l’aggravation des contradictions sociales, a atteint pour ainsi dire son point culminant à l’heure même où la guerre de 1914 inaugure une ère nouvelle de l’humanité. Je dis son point culminant, parce que depuis lors, même dans les manifestations extrêmes de la peinture, Dada, le surréalisme, apparaissent les signes violents d’une réaction contre cette extrême pointe de l’art où s’avance le cubisme. Négation de Dada, essai de synthèse de la négation dadaïste et de l’héritage poétique de l’humanité dans le surréalisme, l’art sous le Traité de Versailles n’a que les apparences désordonnées de la folie, il’ n’est pas le résultat de la volonté d’un groupe, il est le produit affolé d’une société où s’affrontent des forces ennemies et inconciliables. C’est pourquoi peut-être aujourd’hui est-il le plus précieux, l’enseignement d’un homme comme Aragon que les événements ont placé à l’un des points de conflit de ces forces rivales où le jeu minimum était laissé à l’artiste, à l’individu. Je veux parler aussi de John Heartfield pour qui toute la destinée de l’art a été mise gravement en question par la révolution allemande, au lendemain de la guerre, et dont le fascisme hitlérien a détruit entièrement l’œuvre en 1933. John Heartfield est un de ces hommes qui ont douté le plus gravement de la peinture, des moyens techniques de la peinture. Un de ces hommes qui avaient pris conscience, au début du XXe siècle, du caractère éphémère dans l’histoire même de la peinture, de cette peinture à l’huile qui n’a que quelques siècles d’existence, et qui nous paraît être toute la peinture, et qui peut d’un instant à l’autre abdiquer devant une technique nouvelle, et plus conforme à la vie nouvelle, à l’humanité d’aujourd’hui. On sait que le cubisme, notamment, a été une réaction des peintres devant l’invention de la photographie. La photo, le cinéma, rendaient pour eux puéril de lutter de ressemblance. Ils puisaient dans ces nouvelles acquisitions mécaniques une idée de l’art qui allait pour les uns à l’encontre du naturalisme, pour les autres à une redéfinition de la réalité. On a vu cela aboutir à la décoration chez Léger, à l’abstraction chez Mondrian, à l’organisation de soirées mondaines sur la Riviera pour Picabia.
C’est dans le parc de leur Maison que reposent Elsa Triolet et Aragon, là où l’avait souhaité Elsa dans Le Cheval roux. Moulin de Villeneuve 78730 Saint-Arnoult-en-Yvelines
Voir aussi : Aragon et l’art moderne et Aragon le collage et Matisse